PRÉSENTATION

Les mots, l’évocation, la pensée sont des matériaux comme les autres.
C’est la rencontre de sensations plastiques fortes qui est prétexte à l’expérimentation artistique, qui génère ses propres surprises, qui se dit et s’écrit en dépit de tout.
Dans cette recherche d’expérience qui est tout autant expérience de recherche, apparaît parfois en filigrane ce fameux Kaïros, le temps de l’occasion opportune. Une certaine profondeur dans l’instant, mesurée non par la montre, mais par le ressenti, et qui sait? l’émotion. Et quand il se profile, car il s’échappe aussitôt qu’on tente de le regarder en face, on peut s’estimer heureux.
On pourrait dire de ce cheminement qu’il est sur la voie d’une “télépathie des sens”, variation de ce que Kundera appelle la “télépathie des émotions”, et qui produit du lien entre les objets et les sujets du monde.
Ancrée dans les substrats artistiques classiques et contemporains, littéraires, culturels individuels et collectifs, cinématographiques, théâtraux, populaires, sans critère d’élection autre que leur potentiel sensationnel et leur inclination expérimentale, l’attention est également pointée sur le quotidien et les médias de masse qui fournissent une matière qui souvent s’ignore.
Dans cette recherche dont la direction se découvre à mesure qu’elle est suivie, tout comme la musique qui ne se découvre qu’à mesure qu’elle s’entend, les couples de contraires sont affectionnés.
Le corps contre l’objet, la nature devant la culture, l’idée au-dessus de la matière, le su par devers l’insu, le permanent pendant le mutable, le réel derrière le factice, la gravité au-dessous de l’humour, le plein dans le creux, le chaud par le froid, le signifiant appelé par le signifié, le mot installé sur la chose, et on en passe.
Les extrémités sont faites pour se rencontrer sur un point d’équilibre précaire mais tonitruant.

Il en est ainsi des cultures, et du mélange des sangs qui réconcilie les envahisseurs et les saccagés.
Le choix du médium répond à une exigence de cohérence formelle et de pertinence plastique. Que dit un matériau? Que “veut”-il? Qui ou quoi peut-il rencontrer? Que devient-il par cette rencontre?
La fréquente apparition du corps apparaît souvent comme une exigence et induit une ambiguïté nécessaire et précieuse.
Ce “matériau” illustre bien l’oscillation permanente du regard entre singulier (puisqu’il s’agit du véhicule d’une identité) et général (ce n’est qu’un corps parmi tant d’autres).
Ainsi le monde peut être vu et vécu comme un champ de signes dont le langage est inlassablement en marche, dont la mélodie est en train d’être jouée et le rythme battu. Cette condition permet l’invention et l’intervention de l’art, en ce qu’il répond aux béances du monde et de ses discours par un discours autre, qui n’est pas sans points communs avec l’épopée ou le discours du mythe.
Chaque sculpture, chaque image, chaque scène peut être perçue comme un mot, une phrase, une ponctuation. Tout peut faire sens, mais surtout, sensation.
L’instant privilégié est celui de l’oubli furtif des repères de l’usage pour pouvoir se glisser entre ses points de suspension.
C’est dans cet intervalle entre les mots, cette brèche dans le sens et le savoir, que se situe une possibilité de disponibilité à la présence artistique. Juste pour voir, juste pour continuer à désirer de voir et de sentir.
Pour se permettre d’imaginer, un court mais indéfinissable instant, un esprit sans identité précise, un corps dont la limite n’est pas où on l’attend, une matière sans destination définitive, une existence qui se rêve “en soi”, qui se parle et dit son expérience insensée du monde par la voie d’un art en quête interminable de langages à emprunter.
L’expérience artistique n’est, finalement, qu’une question aux aguets d’une autre question à poursuivre.